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De l'ouverture et de la tolérance en Israël, selon Samy Cohen


Le 3 novembre dernier, le chercheur fondateur de l'IRIS Pascal Boniface, consacrait dans son blog, hébergé par Médiapart, un entretien à Samy Cohen suite à la sortie de son livre Israël et ses colombes. Samy Cohen est Directeur de recherche émérite à CERI- Sciences Po, et spécialiste des questions de politique étrangère et de défense, comme nous le mentionne l'article.

Il y aurait fort à dire sur les positions de Pascal Boniface et sur celles de Samy Cohen. Il y aurait fort à dire sur cet article et sur l'emploi de termes contestables, subjectifs, qui révèlent une certaine conception du monde et du conflit. Il y aurait tant à dire qu'il faudrait des heures et plusieurs articles trop longs pour être exhaustif. Nous nous limiterons à un propos en particulier. Le problème n'est pas tant que l'un comme l'autre aient des positions, tranchées ou non, et qu'ils les expriment ici ou là, mais plutôt qu'ils utilisent, tantôt sciemment tantôt sans s'en rendre compte, leurs positions de chercheurs pour recouvrir leurs propos du sceau de l'objectivité du chercheur. Le problème n'est pas tant dans les positions qu'ils expriment ou les analyses qu'ils font, mais surtout dans les termes qu'ils emploient. termes dont la plupart sont erronés et induisent le lecteur en erreur, ou à ne pas comprendre les ressorts du conflit (Voir à titre d'exemple l'un des articles de David Belhassen à ce propos : Pour en finir avec le terme "Palestine"). Samy Cohen est un chercheur respecté et respectable, au service de la recherche et d'une institution indépendante qu'il n'est pas question de remettre en cause ici. Ce n'est pas non plus le propos de cet article que de contester l'ensemble de son travail, ou de son livre, bien qu'il faudrait y consacrer une longue critique.

Samy Cohen
Mais on peut s'étonner néanmoins de lire sous sa plume dès le premier paragraphe : "les colombes israéliennes constituent la preuve vivante et « gênante » de l’existence d’un « autre Israël », plus ouvert et tolérant que celui qui gouverne sans perspectives autres que la poursuite du statu quo." 
Mettons de côté l'emploi du terme établi par convention - et très contestable encore une fois - de "colombes" pour décrire les Israéliens qui sont toujours prêts à plus de renoncements dans leurs conflits avec leurs voisins arabistes (nous renvoyons pour ce dernier terme aux publications de recherches sur la sémantique du conflit en question, par exemple ici voire ici), mettons de côté également le fond du propos de Samy Cohen sur la "preuve vivante et "gênante"" de ces "colombes" démontrant l'existence d'un "autre Israël", là aussi il y aurait fort à dire sur cette conception fort contestable, même si répandue, qui émane d'une certaine façon d'appréhender le conflit proche-oriental voire le monde. Mettons de côté encore le fond de ses propos sur les termes "sans perspectives autres que la poursuite du statu quo", des propos qui sont sans doute dus à la volonté de ne pas s'étendre sur des pages et qui n'exposent là encore qu'une vision à court terme. Laissons donc tout cela de côté car il serait trop long de s'arrêter sur chaque mot. Même si c'est pourtant malheureusement ce qu'il faudrait faire si l'on voulait commencer à rétablir un peu de justice dans le traitement du conflit.

Attardons-nous donc uniquement, pour quelques instants seulement, sur les mots "plus ouvert et tolérant que celui qui gouverne". 
Sur quoi se fonde en effet Samy Cohen pour estimer de façon aussi radicale, tranchée, affirmative, que le gouvernement israélien actuel est moins "ouvert et tolérant" qu'un autre ? Moins "ouvert et tolérant" que ces "colombes" ? Que la gauche israélienne qui n'est plus au pouvoir et qui n'a plus depuis longtemps la confiance de la majorité des Israéliens ? Moins "ouvert et tolérant" que ces "colombes" dont nous parle l'entretien avec Boniface et le livre de Samy Cohen ? En quoi, oui, ces gens-là, de "droite" selon les termes en vigueur couramment, ceux qui gouvernent actuellement en Israël, sont moins "ouvert[s] et tolérant[s]" ? Comment Samy Cohen définit-il en l'espèce l'ouverture et la tolérance ? Sur la base de quoi se permet-il, alors qu'il présente un livre de recherches, censé être académique, de donner des points d'ouverture et de tolérance aux uns et pas aux autres ?

Samy Cohen aura bien du mal à le démontrer sans révéler son parti pris pour cette "gauche" des "colombes", sans révéler sa conception extrêmement partiale voire partielle, pour ne pas dire fausse et erronée, du conflit sionisto-arabiste au Proche-Orient. Cette conception émane encore de cette idée que la "gauche" est le "camp du Bien", et le "camp de la paix" en Israël ... toutes ces auto-dénominations qui font d'eux les bons tout en renvoyant ceux qui ne sont pas avec eux, comme eux, par opposition, dans le ... "camp du Mal" et le "Camp de la guerre". Bref le camp des intolérants et des fermés sur eux-mêmes, de ceux qui ne sont pas "ouverts". 

En vérité c'est bien souvent parce que de nombreux chercheurs, journalistes, penseurs ou simples personnes ont cette conception de l'esprit - cette conception étroite et exclusive, sectaire - qu'ils peineront à comprendre véritablement les problèmes qui se posent aujourd'hui au monde en général et au Proche-Orient en particulier. Et c'est parce qu'ils ont ces préjugés (des préjugés oui, terme qu'on attribune généralement à ceux qui justement ne sont pas très "ouverts" et "tolérants") qu'ils perdent, aux yeux de plus en plus de monde, toute crédibilité scientifique. Renvoyant leur travail, même parfois sérieux et rigoureux sur d'autres points, à une analyse partiale et orientée de plus. Non pas que la conception de la "gauche" et de la "droite", de la "tolérance" et de l' "ouverture" n'aient aucune racine et justification historiques, mais il est temps de se rendre compte que le monde a changé, de réaliser que les mots décrivant une situation il y a deux siècles, ne désignent plus du tout la même réalité. Il est temps de se rendre compte que l' "ouverture" et la "tolérance" ne sont plus, depuis longtemps, l'apanage de la "gauche", des "colombes" et autres dénominatifs mélioratifs qu'ils se sont auto-attribués. Et que non seulement ils n'en sont plus l'apanage, mais bien souvent, très souvent peut-être, l'ouverture et la tolérance ont carrément changé de camp. Si tant est qu'on puisse vraiment parler de "camp"...

Méïr Ronen - Francis-info
30 novembre 2016

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